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La fête est toujours belle ! © Le Studio des Songes pour Le Sirk Festival

© Kevin Madiot – prise au début de la manifestation le 28 mars 2023 à Dijon.

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« On en a bouffé de la lacrymo »

15.000 manifestant.es selon l’intersyndicale, 5.000 d’après les forces de l’ordre. Nous nous sommes rendu.e.s le 28 mars 2023, à la dixième journée de mobilisation contre la réforme des retraites. Une manifestation familiale qui, comme tant d’autre, vire aux feux de poubelles et tires de lacrymos. Entre les pancartes toutes plus inspirées les unes que les autres, les gazages incessants et les slogans entêtants, retour sur cette journée .

par | 18 Avr 2023

Iels étaient nombreux.euses, les manifestant.es à Dijon le mardi 28 mars. Le départ était prévu à 14h sous un beau soleil, comme d’habitude on sait que le cortège ne partira pas à l’heure. Qu’importe, cela laisse le temps d’observer les pancartes toutes plus barrées les unes que les autres : «Nous aussi on est bornés», «Macron prends ta retraite», «Le peuple contre-attaque», «Camarades, force et courage à vous tous» ou tout simplement «Macron dégage». Voilà ce qu’on peut lire sur les cartons qui se perdre au milieu d’un flot de drapeaux Force Ouvrière, CGT, CFDT, Solidaire, FSU…
L’ambiance est festive. La CFDT en tête, le cortège s’élance vers 14h55. Il est rejoint, place du Bareuzai, par le cortège des «jeunes» remontés à bloc. Iels étaient des centaines à se glisser dans la foule. BOUM (ou paf) ! Ça y est, les premiers pétards sont lancés. «J’ suis dans la manif», comme dirait Orelsan. Percus, enceintes, fumigènes, chants, tout y est pour passer un bon moment. Derrière le camion de la CGT, une syndicaliste met le feu à coup de slogans et de blagues cinglantes. Les rires s’enchaînent.
L’arrivée à Darcy se fait dans le calme derrière le camion de la CGT. La syndicaliste continue à lancer ses chants. «On a une grosse pensée pour tous les camarades éborgné.es et violenté.es», lance-t-elle en référence aux nombreux.ses manifestant.es de ces dernières semaines, frappé.es, matraqué.es ou amoché.es comme cela a été le cas à Sainte-Soline. «Ami, si tu tombes, un ami sort de l’ombre à ta place !», conclut-elle avant de lancer le chant des partisans.
Arrivé à Godrans, un jeune homme élancé avec ses hautes chaussettes rayées rouge et jaune danse avec entrain sur l’arrêt de tram. Tel une poupée de chiffon, il gesticule au gré des slogans et des chants scandés. « Alleeeez !!», crie-t-il . Entre applaudissements, questionnements («Mais comment fait-il pour grimper si facilement ?»), et rires amusés, tous les yeux sont rivés sur lui. Le camion de la CGT, lui, est bloqué à l’arrêt de tram de Godrans mais n’en perd pas pour autant sa ferveur.

La fête est toujours belle ! © Le Studio des Songes pour Le Sirk Festival

© Kevin Madiot – Durant la manifestation du 28 mars 2023 à Dijon. Ce jeune homme est un vrai escaladeur. Il se hisse sur les feux de signalisations, sur les abris de bus et de trams, sur les toits sans jamais se fatiguer pour animer le cortège avec des danses endiablées.

Un deuxième homme capuché et masqué se hisse sur l’arrêt de tram. Drapeau rouge à la main, il fait signe au cortège de dévier rue des Godrans où attendent une centaine de personnes. «Y’en a marre de marcher comme toutes les semaines, de suivre le même chemin comme toutes les semaines. Ils (les force de l’ordre N.D.L.R) nous gazent, nous agressent !», hurle-t-il. Entre 2-3 fucks envoyés aux forces de l’ordre, le jeune homme appelle la foule à le suivre. « SUIVEZ-NOUS !». En vain, peu de monde se rallient à l’appel ou lui prête attention. L’ambiance est plus à la «déconnade» qu’à la rébellion.

©Kevin Madiot - photo prise lors de la manifestation du 28 mars 2023 à l'arrêt de tram Godrans de Dijon.

©Kevin Madiot – photo prise lors de la manifestation du 28 mars 2023 à l’arrêt de tram Godrans de Dijon.

Alors que les manifestant.es s’apprêtent à repartir derrière le camion de la CGT, il pleut des lacrymos. Hein ? Mais Pourquoi ? En réponse à quoi ? C’est avec stupéfaction et dans l’incompréhension que tous s’éloignent du gaz étouffant. Rapidement, la solidarité se met en place. «Tiens, du sérum phy’», «Vous avez besoin d’aide ?», peut-on entendre. Au bout de 2-3 min, tous.tes se remettent en route dans la bonne humeur même si quelques-un.e.s semblent agacés. «ON EST PLUS CHAUDS, PLUS CHAUDS, PLUS CHAUD QUE LA LACRYMO» scandent les manifestant.es plus en feu que jamais derrière le camion de la CGT. Le cortège suit sa route :

Après être passés par la place de la République, puis devant l’Auditorium, les manifestant.e.s arrivent place du 30 octobre vers 17h. C’est ici que les premiers parapluies noirs s’ouvrent. C’est aussi ici que s’attendent et se rassemblent, les personnes dissimulées derrière leur masques et/ou des lunettes de piscines. Certain.es les appellent les Black Blocs, pas sûr que tous.tes se revendiquent comme tel.

UN BLACK BLOC, PAS DES BLACK BLOCS
Rappelons que les Blacks Blocs ne sont pas un groupe organisé mais reste un groupe d’individus/manifestant.es éphémère qui s’organise lors de manifestations ou d’action direct. Iels peuvent partager certains codes tel que les tenues noires (Black Block = bloc noir). Bien loin de l’image caricaturale d’un groupe de casseur.euse.s violent.e.s, le Bloc Noir est en réalité bien plus hétérogène socialement et reste avant tout une méthode d’action, de manifestation.

Sur le chemin pour la place Wilson, point final de la manifestation, une partie du cortège se décroche pour se diriger vers la mairie. Iels sont déterminé.es, en colère. «Allez, faut y aller !». Iels se jettent dans la gueule du loup. Les forces de l’ordre les attendaient. Repoussée par des tirs de lacrymo, la quelque centaine de personne reprend sa route direction place Wilson. A l’arrivée, l’ambiance y est toujours bon enfant. Telle une chorégraphie bien rodée, tout le monde semble se mettre à sa place. Il y a celleux qui vont machinalement devant les Forces de l’ordre et celleux qui s’excentrent sur les côtés de la place. Les derniers masques et cache-cous sur les mentons sont remontés. Les dernières capuches sont mises.
Quelques minutes plus tard, les camions des syndicats et les familles ont quitté la place. Rapidement, un silence de tension s’installe. Les percus s’arrêtent, les slogans scandés aussi. Comme balayés par le vent, les drapeaux ont disparu. Il ne reste qu’une centaine de personnes, pour la plupart, très en colère.
Au centre de la place Wilson, impossible d’entendre les sommations des forces de l’ordre qui se préparent à tirer des lacrymos. PAF! Les premières sont lâchées. Un mot d’ordre: ne pas courir pour éviter les mouvements de foule. Évidemment cette règle est difficilement applicables lorsque le gaz commence à gratter le fond de la gorge. Mais alors pourquoi rester alors que la partie est perdue d’avance ? Quand on sait que de toute manière, les forces de l’ordre arriveront de gré ou de force à disperser la foule en colère. Une personne nous explique qu’elle est là pour soutenir son fils qui fait face aux forces de l’ordre, qui commencent à avancer.

Rapidement, l’air de la place Wilson est irrespirable, sauf peut-être pour les forces de l’ordre bien équipées. Des lacrymos frappent les carreaux des voitures garées autour de la place et, parfois, tombent à nos pieds. Les manifestant.es sont éparpillé.es dans les rue adjacentes. Certain.es se mettent du sérum physiologique dans les yeux, d’autres essayent de cracher le gaz avalé. Un peu plus loin, deux jeunes hommes commencent à se changer. Ils retirent à la hâte leurs vêtements noirs et leurs lunettes de piscine. «Il faut qu’on s’arrache», m’explique l’un d’entre eux.

Petit à petit les dernier.es manifestant.es s’échappent par les ruelles. «On en a bouffé de la lacrymo», avoue amusé l’un d’entre eux. Les pompier.e.s interviennent sur les derniers feux de poubelles encore allumés. En à peine trente minutes, la place est rouverte à la circulation comme si de rien était, comme si aucune colère n’avait rugi. Aucune trace d’une quelconque manifestation sauf peut-être quelques cendres et relents de gaz Lacrymo.

©Kevin Madiot - photo prise lors de la manifestation du 28 mars 2023 à Dijon, place Wilson, quelques minutes après les premiers tirs de lacrymo. L'air est étouffant.

©Kevin Madiot – photo prise lors de la manifestation du 28 mars 2023 à Dijon, place Wilson, quelques minutes après les premiers tirs de lacrymo. L’air est étouffant.

©Kevin Madiot - photo prise lors de la manifestation du 28 mars 2023 à Dijon, place Wilson. Une dizaine de minutes après les derniers tirs de lacrymo, la circulation est rouverte.

©Kevin Madiot – photo prise lors de la manifestation du 28 mars 2023 à Dijon, place Wilson. Une trantaine de minutes après les derniers tirs de lacrymo, la circulation est rouverte.

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